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Les mécanismes francophones de prévention de l’extrémisme violent: l’exemple camerounais - Par Aristide Donald Bilounga, correspondant de FSF au Cameroun

Les mécanismes francophones de prévention de l’extrémisme violent: l’exemple camerounais

Par Aristide Donald Bilounga, correspondant de FSF au Cameroun

L'attention portée à travers le monde sur l’extrémisme et la radicalisation comme le chemin qui y mène, n’a cessé de croître. Si les termes de « radicalisation », « prévention », « désengagement » et « déradicalisation » se sont largement répandus depuis les attentats du 11 septembre, notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans les pays du Nord de l’Europe, ces concepts connaissent un regain d’intérêt dans l’espace francophone où scientifiques et décideurs se concentrent de plus en plus afin de mettre en lumière le processus de radicalisation dans l’espoir de prévenir celle-ci et la violence qu’elle peut entraîner.

 

En effet, depuis quelques années, la problématique de l’extrémisme violent est devenue centrale dans l’espace francophone avec la montée en puissance des groupes terroristes et des revendications sécessionnistes, tels que AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique), Ansar Dine, et Al Mourabitoun, et des liens au-delà de l’espace linguistique francophone avec Boko Haram devenu Etat Islamique en Afrique de l’Ouest en mars 2015. Les récentes attaques terroristes enregistrées à Paris, N’Djaména, Bamako, Abidjan et Bruxelles témoignent à suffisance l’ancrage de la violence à l’intérieur des pays ayant le français en partage. Elles sont également des indicateurs interpellant les Etats membres à développer ou à renforcer des mécanismes de prévention et de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent à l’intérieur de leurs territoires. Cette interpellation n’épargne aucun Etat y compris ceux qui étaient longtemps considérés à l’abri de la radicalisation, à l’instar du Cameroun.

 

 Un regard sur les mécanismes de prévention ou de lutte contre l’extrémisme violent (PEV) nécessite de rappeler les causes profondes de ce phénomène. Ainsi, au Cameroun, la crise de la reconnaissance exprimée par le sentiment de marginalisation des populations des régions dites anglophones, le chômage, l’extrême pauvreté et le manque d’éducation sont des principales racines de la radicalisation conduisant à la violence extrémiste.  S’inscrivant dans la perspective des procédés onusiens et de l’initiative francophone (franco-PREV) en matière de prévention de l’extrémisme violent, le Cameroun renforce tant bien que mal ses mécanismes sécuritaires et sociopolitiques de prévention de la violence extrémiste. En effet, lors du XVIe Somment de la Francophonie qui s’est tenue à Antananarivo (Madagascar) le 26 novembre 2016, les Etats et gouvernements membres ont adopté une « résolution sur la prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent pouvant conduire au terrorisme ». Cette Résolution a conduit à la création du premier réseau francophone en la matière sous le nom de Franco-PREV, qui vise l’échange, la diffusion des connaissances, des expériences et de bonnes pratiques ainsi que le renforcement des capacités francophones en matière de PEV.

 

Les mécanismes sécuritaires de prévention de l’extrémisme violent : mise en exergue des comités de vigilance

 

La collaboration entre les forces de défense, de sécurité et les populations s’est développée en fonction de l’évolution de la situation sur le terrain. A la genèse, les populations étaient méfiantes vis-à-vis de l’armée du fait de sa propension à la brutalité et aux violations systématiques du droit international humanitaire. De même que l’armée n’avait pas confiance en ces populations dont certains enfants avaient rejoint les rangs de Boko Haram. Avec la multiplication des attaques, des actes de violences graves perpétrés sur les populations et la nature asymétrique du conflit imposée par Boko Haram à l’armée, jusqu’alors habituée à la guerre conventionnelle, la collaboration s’est imposée d’elle-même. Les populations avaient besoin de la protection de l’armée et l’armée avait besoin des renseignements que détiennent les populations. Les deux ont donc commencé à interagir. Cette interaction se fait par le truchement des Comités de Vigilance et des autorités traditionnelles. Leur mission consiste à fournir des renseignements aux forces de défense et de sécurité qui opèrent dans leurs villages.

 

Activés dans la région de l’Extrême-Nord, frontalière du Nigéria et régulièrement victime d’attaques armées et d’attentats-suicides perpétrés par les djihadiste Boko Haram depuis 2014, les comités de vigilance se distinguent par leur caractère double. Implémentés dans presque toutes les villes du Cameroun, les comités de vigilance anti-terroriste sont en même temps une émanation populaire et institutionnelle ayant pour but d’assurer un minimum de sécurité dans leurs localités. Ainsi, ces groupes d’auto-défense institués par la loi n° 68/LF/1 du 11 juin 1968 organisant la défense passive, sont classés au rang des forces auxiliaires et supplétives dans la conception camerounaise de la défense nationale. A cet effet, ils sont des forces de deuxième catégorie au même titre que les unités mobiles de police et la gendarmerie mobile. Ce sont également des « forces spécialisées surtout dans le maintien de l’ordre public, elles agissent à la demande et au besoin sur réquisition des autorités habilitées ». Leur rôle va du simple renseignement à la participation des opérations militaires.

 

La CNPBM, un mécanisme sociopolitique de prévention de l’extrémisme violent

 

La création de la Commission National de Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme (CNPBM) est un dispositif essentiel mobilisé par le gouvernement pour instaurer une culture du dialogue et du vivre ensemble. En effet, la CNPBM est organe consultatif créée par décret n°2017/013 du 23 janvier 2017 et chargée d’œuvrer pour la promotion du bilinguisme au Cameroun dans l’optique de maintenir la paix ; de consolider l’unité du pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre ensemble. Elle intervient par la soumission des rapports et des avis au Président de la République et au Gouvernement, sur les questions se rapportant à la protection et à la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme.

 

Aussi, elle assure le suivi de la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles faisant de l’anglais et du français deux langues officielles d’égale valeur. Elle mène toute étude ou investigation et propose toutes mesures de nature à renforcer le caractère bilingue et multiculturel du Cameroun. De même, la CNPBM élabore et soumet au Président de la République des projets de textes sur le bilinguisme, le multiculturalisme et le vivre ensemble. A ce jour, la CNPBM a élaboré et adopté son organigramme, son règlement intérieur, le plan d’action du mois de juin 2017 à décembre 2018 et décliné suivant les axes tels que : la promotion du bilinguisme ; la promotion du multiculturalisme et celle du vivre ensemble. Elle a également évalué la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles relatives à la pratique du bilinguisme entendu comme étant le Français et l’anglais dans les 37 Départements Ministériels du 1er au 3 novembre 2017.

 

En définitive, l’expérience camerounaise en matière de PEV, bien qu’inédite et en construction, est un outil à capitaliser face aux nouveaux enjeux de la radicalisation et de la violence extrémiste dans l’espace francophone. Au final, il revient aux Etats et gouvernements membres de la Francophonie de renforcer leurs relations bilatérales, multilatérales (autour du réseau franco-PREV) afin de favoriser entre eux, des échanges de bonnes pratiques tout en développant une approche commune sur la prévention de la radicalisation et de la violence extrémiste.